No broken hearts in the world, that’s what you want ▪ ft Edaline

Une nouvelle fois, Adeluna s’était recueillie sur la tombe son grand oncle, située en plein milieu de la forêt où il avait été assassiné quelques années auparavant. Sauf qu’à la différence des autres fois, elle y était allée avec une pointe d'inquiétude qui ne la correspondait pas. L’origine de cette provenait de sa dernière visite. Effectuée sous la forme d’un aigle pour privilégier vitesse et souplesse, elle s’était malencontreusement retrouvée nez à nez avec chasseurs dont elle ignorait la race mais qui n’avaient tout de même pas hésiter à lui tirer dessus alors qu’elle avait tenté en vain de dire qu’elle était polymorphe. Touchée à l’aile et en pleine souffrance, elle avait dû parcourir quelques mètres avant de s’écraser dans un buisson. Si les chasseurs n’avaient réussi à mettre la main dessus, une petite elfe l’avait trouvé dans un état piteux et - sans mauvais jeu de mots - l’avait pris sous son aile afin de guérir sa blessure. Après avoir été guérie, Adeluna avait repris sa forme humaine et était en proie à une nouvelle crise de folie. Elle hurlait, accusait encore les humains de son malheur et implorait leur mort sous les yeux abasourdis d’Edaline, la petite elfe au grand coeur. Celle ci avait tenté de lui faire oublier sa haine sans grand résultat.

Aujourd’hui, Adeluna essayait d’oublier cet épisode qui datait de quelques semaines mais avait encore beaucoup de mal. Malgré tout, les mots d’Edaline l’avaient percuté ce qui lui permettait de se remettre en question sur ses objectifs. Elle avait demandé l’avis de Greg dans un souffle de détresse mais aucun signe de réponse lui était parvenu. Alors elle était repartie, sans avis, avec le seul objectif de ramasser des champignons pour le moment. Accroupie près d’un arbre, elle déterminait la race des champignons qui étaient devant elle. Ils ressemblaient bien à des Girolles mais elle hésitait encore car elle avait du mal encore à les reconnaître.
Soudain, Adeluna entendit un craquement de branche et se retourna précipitamment en position de défense. Elle reconnut la figure tranquille d’Edaline. “Ah c’est toi. Qu’est-ce que tu fais là ?”

Edaline était un peu comme l’ange gardien d’Adeluna. Elle avait tenté de la raisonner à plusieurs reprises, de la comprendre et de la conseiller, mais le caractère du polymorphe était tel qu’elle ne voulait rien entendre. Enfin si, l'elfe avait quand même réussi à semer le doute. Inconsciemment, elle n’était plus vraiment sûre de ce qu’elle voulait. Si ses mots ne l’avaient percuté au début, les jours qui avaient suivi la rencontre étaient marqués par des remises en question. Pourquoi l’avait-elle rencontré ? Elle aurait mieux fait de la laisser là, périr de ses blessures et ne pas avoir à prendre de décisions puis juste rejoindre Greg. “Je vais bien et toi ? Merci de demander.”. Adeluna roula des yeux, ce n’était pas la peine de prendre des nouvelles des autres surtout quand elle n’avait pas l’habitude de le faire. Mais bon, elle savait bien que l’elfe allait lui pardonner son impolitesse. “Pour répondre à ta question, je me promène, mais tu sais que si les nymphes nous trouvent ici on va avoir des ennuis ?”. Ah encore les nymphes ! Adeluna en avait par dessus la tête d’elles. De toutes façons, elles n’étaient pas encore là et dans le pire des cas, elles s’en iraient. “Et toi qu'est ce que tu fais ici ? Tu as renoncé à ta quête de vengeance.”

La blonde arracha un énième champignon qu’elle déposa dans son panier et se releva pour faire face à Edaline. Le sourcil levé, elle n’avait aucunement l’intention de lui faire des illusions. Elle posa son panier à terre et croisa les bras, l’air de la défier. “Ça peut aller. Et j’en ai rien à faire des nymphes, j’ai un repas à préparer moi et ce ne sont pas elles qui m’empêcheront de trouver de quoi manger.” Jouer la carte de la provocation n’était jamais la meilleure idée mais Adeluna ne pouvait pas s’en empêcher. Elle était devenue si froide, si cynique, elle avait du mal à épargner les rares personnes avec qui elle parlait. “Comme tu le vois, je joue aux cartes avec mes amis sangliers, cerfs et renards. Ah non, j’oubliais, les animaux ne sortent plus beaucoup en journée car les chasseurs humains les effraient. Moi je dis, si ça continue, ils vont briser tout un écosystème !”. Elle se mit à penser aux champignons. Certaines espèces avaient besoin de s’accrocher au tronc d’un arbre pour se développer. Le polymorphe arrivait à se projeter en eux en se demandant si c’était la vengeance qui s’accrochait à elle ou elle, qui s’accrochait à la vengeance ? Ce qui était sûr, c’était qu’ils ne pouvaient plus vivre l’un sans l’autre. “Donne moi une seule bonne raison d’y renoncer. Surtout avec tout le mal qu’ils font.”

Les mots d’Edaline étaient comme des coups de couteau qui faisaient réaliser à Adeluna que tout ce qu’elle disait était absurde. Elle avait l’impression de comporter comme une enfant qui boudait pour toutes sortes de raisons. Cependant, quelque chose en elle la forçait à se comporter mal, quelque chose qui s’agitait en elle, il semblait que c’était encore son désir de vengeance qui la torturait. Elle avait mal au coeur, pourvu que ce ne soient pas les symptômes de ces crises, sinon elle n’allait jamais le supporter. Pourquoi souffrir de son désir ? La polymorphe ne savait plus trop quoi penser, pire, elle n’arrivait plus à penser. La blonde avait l’impression que son corps était contrôlé par un démon et qu’elle n’arriverait pas jamais à s’en débarrasser. De toute la rafale de mots que Edaline lui avait craché à la figure, une phrase lui restait pourtant en tête: “Tu veux une raison, si tu agis par vengeance, c'est que tu es pire qu'eux et tu ne pourras plus te regarder dans le miroir.” Elle avait atrocement mal. C’était indéniable, mais l’elfe avait raison sauf que la blonde ne voulait pas l’admettre. Les larmes commencèrent à brouiller sa vue mais elle se retint juste pour ne pas perdre la face. “Parmi tout le peuple d'Arkana j'ai des amis partout, on s'en prend à quelqu'un et je ferai tout pour les défendre.” Un sourire carnassier déchira le visage d’Adeluna. L’elfe voulait se mesurer à elle ? Bon courage.

“Me regarder dans un miroir ? Je n’ai jamais réussi à me regarder dans un miroir.” Le complexe parlait pour elle. Et c’était vrai. Elle avait toujours eu du mal à faire face à son propre reflet et ce, depuis toute petite. Encore aujourd’hui, elle avait un visage assez masculin même si ses traits carrés s’étaient atténués depuis. Mais elle ne s’assumait toujours pas après 37 ans d’existence. Elle s’avança doucement vers Edaline. Sa taille imposante était son seul avantage pour effrayer les gens lorsqu’elle n’était pas sous forme animale. “Ah oui tu veux te mesurer à moi ? Et que peut faire une petite elfe au grand coeur contre un monstre comme moi qui peut se transformer en tigre et te tuer avec un seul coup de griffe ?” Adeluna lui lança un regard noir avant d’ajouter. “Tu sais bien que si je veux me venger, c’est plus pour mon oncle que pour moi. Donc dans cette histoire, je n’ai qu’un rôle d’exécutant et ça me ferait très plaisir de le remplir.”

“  Ton excuse ne tient pas la route, te venger, ça ne ramènerait pas ton oncle, il est mort et il le restera”  Juste cette simple phrase avait failli la faire tomber en larmes. Adeluna avait juste envie de transpercer les côtes de cette elfe et de la dévorer jusqu’aux os. Elle n’avait pas l’habitude de cette provocation même si elle savait gérer les mots durs. Son frère avait l’art de lui en dire et ce le plus souvent possible, elle savait passer outre et à les ignorer, qu’ils soient pleins de vérités ou qu’ils soient méchants. Dans un langage plus argotique, on pouvait dire qu’elle en avait rien à foutre. Mais là, cette provocation venait d'une simple petite elfe qui n’avait aucun pouvoir à faire pression sur elle. Alors pourquoi agissait-elle de la sorte sous peine de se faire trancher la tête ? Adeluna comptait-elle vraiment pour elle pour avoir jusqu’à le courage de provoquer une race beaucoup plus puissante ? Le polymorphe voulait que cela soit vrai.  Cependant, elle se disait qu’à part son oncle autrefois, personne ne lui portait une considération sincère. Elle se disait que si Edaline lui disait tout cela, c’était juste pour protéger ses humains. Et pas d’une folle comme comme la blonde. “Puis ton oncle n'a pas été tué parce que c'était un polymorphe, au contraire, même si je suis contre la chasse, ces chasseurs pensaient avoir affaire à un animal et à mon avis ils l'ont sur la conscience.”

Son sourire carnassier était revenu. Elle se rappelait de cet épisode où la colère, la tristesse et la haine l’avaient conduite à commettre l’irréparable. Elle s’était transformée en bête féroce et avait tué tous les chasseurs qui avaient le malheur d’être dans cette forêt. Adeluna se rappelait aussi à quel point elle avait aimé le faire, c’était comme si elle avait payé une sorte de dette. “Là où ils sont, ils n’ont plus rien dans la conscience. Ils sont morts.” Elle se mit à se tordre de rire, d’un rire sinistre et fou. Elle réussit à faire fuir tous les oiseaux de la forêt. “Tu vois je suis déjà un monstre. Alors peu importe. Que je tue un humain de plus ou de moins, ça ne changera plus grand chose.” Elle reprit son souffle, la haine, c’était comme un exercice physique qui paralyse tous tes membres. “Ou même une elfe qui se mêle trop de mes affaires. Avoue que tu fais ça pour tes pauvres amis humains innocents, hein.”

Chaque mot était prononcée par Edaline sans ne plus parvenir à atteindre Adeluna. Elle était comme possédée, elle n’arrivait plus à se contrôler. Pourtant, elle ne faisait pas une de ses crises de folie qui la poussait à commettre des choses qui la dépassait. Non, cette fois elle pensait vraiment ce qu’elle disait. L’elfe essayait encore tant bien que mal de la raisonner mais le polymorphe n’était plus réceptif à ce qu’elle disait. Elle était en colère, essayait de lui faire réaliser les actes affreux qu’elle avait commis. Rien, elle était entrée dans son délire et ne parvenait plus à y échapper. Elle rigolait nerveusement face à aux critiques de son ange gardien. Penser aux enfants, aux familles ? Pour quoi faire ? Ils avaient détruit la seule famille qu’elle avait. C’était toujours difficile de penser aux autres quand on était en plein désarroi. Elle en avait rien à faire de la vie de tous ces gens qu’elle avait assassiné de sang froid. La guerre ? Elle n’en avait rien à faire. Elle n’y pensait pas, à vrai dire, elle croyait que c’était une légende pour effrayer les gens qui n’arrêtaient pas de se provoquer.

Face au comportement d’Adeluna, Edaline commença à prendre peur. Même si la menace avait exprimé au second degré, elle l’avait vraiment prit au sérieux. Plus par peur qu’autre chose, elle annonça à la blonde qu’elle s’en allait et qu’elle irait la voir une prochaine fois, quand elle sera calmée. Le polymorphe pensait qu’elle allait devoir attendre encore longtemps, qu’elle sera juste calmée quand on aura enterré ses deux pieds sous terre même. Alors moqueuse, elle cria: “Bah alors on a peur ? Si tu attends que je sois calmée, tu vas devoir attendre ma mort pour ça ! On se verra pas avant longtemps ! Tu n’es pas très convaincante… “. La jeune femme s’en alla elle aussi, armée de ses champignons et de sa haine contre l’humanité.